Réflexions sur le lien à l’autre

En cette saison Balance qui commence, quelques réflexions sur notre relation à l’autre.

°Abandon
Le vent souffle fort, P. et moi -la psychologue et l’astrologue- sommes occupées à refaire le monde. On brave le vent, notre enthousiasme est intact, cherchant toujours à comprendre la psyché humaine. On s’arrête boire un chocolat chaud et le sucre nous stimule davantage. C’est dans cet état que l’on s’est demandé quelle était l’étymologie du verbe abandonner, à quoi correspond vraiment le sentiment qui en découle.
Abandonner: a+bandon signifierait céder le contrôle, se rendre.
Lâcher prise, donc. Cela semble assez différent du sens qu’on donne souvent à ce mot utilisé quand on se sent délaissé.
Enfant, on s’abandonne à nos parents, à ceux qui nous entourent, on leur cède le contrôle de notre vie puisqu’on n’a pas la capacité de la prendre en main soi-même. Beaucoup d’entre nous (tous?) à un moment ou à un autre, d’une façon ou d’une autre, on s’est senti abandonné dans l’enfance, de façon plus ou moins grave et traumatique. Mais il s’agit plutôt d’une désillusion liée à cette situation d’abandon, parce que nos besoins n’ont pas été remplis comme on aurait voulu, quelle qu’aie été l’intention du parent nourricier. On a eu peur, on a ressenti une insécurité qui est légitime lorsque l’on est enfant puisque de nos parents et de leur bon vouloir dépend notre survie.
Puis on grandit et à un moment ou à un autre on se sent abandonné par d’autres. Et cet abandon là, qui fait si mal, c’est la blessure de l’enfance qui ne nous quitte pas et qui s’ouvre. La même émotion ressurgit, la même angoisse de mort. Mais cette fois on est indépendant, de l’autre ne dépend pas notre survie, donc l’émotion est là mais ne correspond plus à la situation actuelle puisque nous avons changé: nous n’avons plus besoin de nous abandonner à qui que ce soit.
Le défi est là.
D’une part prendre conscience que nos émotions les plus viscérales, qui viennent de notre nuit profonde, appartiennent à l’enfance et non au présent, que le nous-enfant peut être tyrannique et réclame sans cesse son dû.
D’autre part que ce nous-enfant tyrannique n’a pas à nous gouverner, qu’en tant qu’adulte, on est un temple et qu’aucun autre n’a à en être la structure, ni même une colonne latérale. On tient debout seul, oui, c’est possible.
Le sentiment d’abandon, donc, est anachronique, c’est un nous du passé qui réclame justice et ne l’obtiendra jamais puisqu’il appartient à une autre époque, un autre mode de fonctionnement. Ce qu’on peut faire, c’est le reconnaître, le consoler.

°Dépendances – Moi et l’Autre
La question de l’abandon mène à celle de la dépendance qui en découle. Si on se sent abandonné, adulte, c’est que l’on avait créé une relation de dépendance. C’est que l’on avait donné à un autre la responsabilité de nous porter, d’être une colonne de notre temple qui, une fois l’autre parti, s’écroule. Dans la petite enfance, on s’abandonne à nos parents et donc, on est dépendant d’eux. Normal. Une fois de plus, on reproduit ce schéma une fois adulte alors qu’il n’est plus nécessaire puisque l’on a grandi.
En ces temps très individualistes, l’indépendance est une valeur fondamentale. Mais est-on jamais vraiment, totalement indépendant? Vaste sujet. Je crois qu’il y a un travail à faire, toujours, et en particulier cette année où l’énergie Capricorne domine et nous invite à déconstruire des pans entiers de notre vie et à les reconstruire. Cette notion de construction me paraît importante. Se construire des bases solides, se construire son temple intérieur qui même s’il est ébranlé par les événements extérieurs, a suffisamment de flexibilité pour rester debout, pour exister seul.
Mais l’indépendance absolue est illusoire, parce que seul, on n’arrive à rien, parce que nous vivons en société et avons besoin des autres. A tellement se vouloir indépendant, on considère que la dépendance, c’est mal. Le risque, lorsqu’on pense que quelque chose est mauvais, c’est de le nier alors qu’on le désire. Et ce que l’on nie nous contrôle. La philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle (“Minuscules magiques dépendances”, in Éloge du risque) propose de ne pas fuir ces envies “mais de les appréhender, y prêter notre intelligence”. Les observer, les questionner. Parfois même, s’y risquer. Elle parle de l’amour comme d’un “art de la dépendance”: “cet événement qui nous rend capable de nous transporter dans l’autre, de nous déserter pour choisir l’adversaire contre soi”.
Je dirais que c’est bien sûr un risque à prendre, à condition d’avoir bâti son temple à soi, de savoir qu’il existe un endroit où revenir, toujours: soi.
L’astrologie comme de nombreuses philosophies orientales voit le monde en pôles que l’on peut associer au yin et yang. L’un ne peut exister sans l’autre et c’est l’équilibre entre les deux pôles qui fait l’harmonie.
Le zodiaque fonctionne ainsi, les signes opposés sont complémentaires. Et l’axe qui l’exprime le mieux et qui correspond à ces réflexions est le tout premier, celui du Bélier et de la Balance: moi et l’autre. Mais aussi Je et Nous. C’est un axe qui est constitutif de l’identité et qui parle des relations. Parce que notre lien aux autres nous constitue aussi. Aller vers l’autre, donc (la Balance), sans se perdre de vue (le Bélier). On fait des allers-retours constants sur cet axe. Ne prendre en compte qu’un seul pôle, quel qu’il soit, ne peut pas nous faire de bien. Tout est une question d’équilibre.
Je cite encore Anne Dufourmantelle dans le même essai: “dépendre d’un autre, ce n’est pas nécessairement s’y livrer corps et âme, peut-être y a-t-il à trouver, dans ces parages, une éthique “faible” (…), inventer des ères de microdépendances, de tout petits paysages de très violents attachements.” Le terme de microdépendance suggère d’agir en conscience, de savoir qu’on se risque à y aller en connaissant le chemin du retour.

°Interdépendance – Je et Nous
Peut-être qu’un terme plus intéressant que celui de dépendance est celui d’interdépendance. Se croire totalement indépendant c’est oublier que l’on partage la vie avec le reste du vivant. Le philosophe Emanuele Coccia dit que « naître, pour tout être vivant, c’est faire l’expérience d’être une partie de la matière infinie du monde, qui invente une autre manière de dire “moi” » (Métamorphoses, p. 33). Si l’on revient à une échelle moins universelle, Coccia considère que l’on est la métamorphose de nos parents et de tous nos ancêtres avant eux, dans une continuité de vie qui passe d’un corps à l’autre, qui nous traverse.
Se sentir faire partie de quelque chose qui nous dépasse, dans l’espace (la vie de la Terre, du vivant) comme dans le temps (nos ancêtres, nous, notre descendance).
Et tout à la fois un être humain unique et solide dont on apprend chaque jour – et notamment au contact des autres – à tracer le contour, toujours changeant, mouvant, vivant.